Landes : l’étonnante aventure de Biogemme pour relancer la récolte de résine de pin

C’est une zone industrielle comme il en existe des milliers en France. Il faut s’y enfoncer et faire confiance à son GPS pour trouver un bâtiment tout aussi anonyme. À l’intérieur, toujours rien de clinquant. On y trouve pourtant de grands fûts bleus qui cachent un or jaune : de la résine de pin, qui partira bientôt pour être distillée. Ces locaux, ce sont ceux de Biogemme, un département de la société Holiste, spécialisée dans la naturopathie.

Mais qu’est-ce qu’une entreprise basée en Saône-et-Loire est venue faire à Biscarrosse ? Relancer une filière de gemmage dans la région, tout simplement. La récolte de la résine (1) par un opérateur « blessant » le pin avec un hapchot (une sorte de hache), pour qu’elle s’écoule dans un pot en terre, fait partie de l’imaginaire landais.

Mais depuis bientôt quarante ans, cela ne relève que du simple folklore…

C’est une zone industrielle comme il en existe des milliers en France. Il faut s’y enfoncer et faire confiance à son GPS pour trouver un bâtiment tout aussi anonyme. À l’intérieur, toujours rien de clinquant. On y trouve pourtant de grands fûts bleus qui cachent un or jaune : de la résine de pin, qui partira bientôt pour être distillée. Ces locaux, ce sont ceux de Biogemme, un département de la société Holiste, spécialisée dans la naturopathie.

Mais qu’est-ce qu’une entreprise basée en Saône-et-Loire est venue faire à Biscarrosse ? Relancer une filière de gemmage dans la région, tout simplement. La récolte de la résine (1) par un opérateur « blessant » le pin avec un hapchot (une sorte de hache), pour qu’elle s’écoule dans un pot en terre, fait partie de l’imaginaire landais.

Mais depuis bientôt quarante ans, cela ne relève que du simple folklore. Le gemmage, au cœur de la plus grande forêt artificielle d’Europe, fut longtemps une source de richesse, avant de péricliter et de s’éteindre totalement au début des années 1990. Pas assez rentable, face à la concurrence européenne (Portugal, Grèce, Espagne), et bientôt mondiale (Chine, Brésil).

Résine écologique

Pourtant, en 2010, Holiste décide de relever le défi de relancer une vraie filière industrielle. La société y a un intérêt. Son produit phare est le bol d’air Jacquier, un appareil respiratoire qui améliore l’oxygénation des cellules grâce aux vertus de l’huile essentielle de résine de pin, la térébenthine, qu’elle importe alors du Portugal.

Mais comme partout, on y utilise de l’acide sulfurique, qui permet d’augmenter la quantité de résine produite. Une méthode opposée aux valeurs d’une entreprise qui se veut « au service du vivant ». « On a une forte exigence environnementale, on voulait monter en qualité, avec une résine écologique et produite en France, en cycle court », explique Marie-Laure Delanef, la fondatrice d’Holiste, qui voit aussi dans la relance d’une filière française une façon de sécuriser ses approvisionnements.

L’homme chargé de relever le défi s’appelle Luc Leneveu. Il s’installe à Biscarrosse, choisie pour sa proximité avec Bordeaux, et parce que l’ONF (2) met à sa disposition des parcelles où mener ses expérimentations. Face à lui, plusieurs problématiques. « Il fallait savoir si on pouvait récolter, comment, avec quelles machines, et si cela pouvait être viable économiquement. » Sans oublier de trouver une alternative à l’acide sulfurique : « Un activant qui serait sans impact pour les opérateurs et pour l’environnement ».

« Dans quoi je m’étais embarqué »

La mission de « R et D » (recherche et développement) va s’étirer sur plus de dix ans. Notamment parce que le gemmage, dans nos contrées, est une activité saisonnière (de juin à octobre, environ), ce qui limite la possibilité de faire des tests. « Ça a été beaucoup plus long et difficile que prévu, admet Luc Leneveu. La première année, je me suis demandé dans quoi je m’étais embarqué : il n’y avait quasiment rien au fond de la poche ! »

Pour mieux comprendre, il faut monter dans son 4×4 et s’enfoncer dans une parcelle de forêt, à quelques minutes du centre de Biscarrosse. Un gemmeur est en plein travail. Aujourd’hui, le processus est rodé : les pins sont piqués à l’aide d’une machine spéciale, l’activant fait son effet et la résine s’écoule dans des poches fermées qui sont ensuite vidées dans l’entrepôt de Biogemme. « On a validé le process, il nous reste à finaliser les détails », se réjouit Luc Leneveu, qui pense notamment à la suppression du plastique.

Pour en arriver là, il a pu s’appuyer sur les travaux déjà existants, comme la méthode Bellini, du nom d’un ingénieur qui, dans les années 1930, avait déjà breveté un procédé de récolte mécanisé, en vase clos (afin d’éviter les impuretés et l’évaporation de la résine). Une base qu’il fallait perfectionner pour espérer rendre l’activité rentable.

Pour cela, ce touche-à-tout, qui a travaillé dans la mécanique et la construction de décors de films, a notamment conçu une machine spécifique pour percer les pins, « plus robuste, sécurisée, avec une souffleuse pour dégager la poussière d’écorce », et breveté ce qu’il estime être le premier activant organique respectueux de l’environnement.

En avançant pas à pas. « Il a fallu vérifier les rendements selon la manière d’inciser le pin, selon la météo, explique-t-il. On procédait par ateliers de 15/20 pins, avec chacun son rôle dans le test. Au début, on faisait dix piques (dans chaque pin, NDLR), contre cinq aujourd’hui, tout en multipliant les rendements. Avant, le pin arrêtait de s’écouler au bout d’une semaine, maintenant, c’est après trois semaines (grâce à la qualité de l’activant). »

« Si long et si coûteux… »

Aux 2 tonnes récoltées les premières années succèdent de véritables campagnes de production. La plus grosse récolte a atteint 53 tonnes, avant de baisser, car Holiste, qui ne se fournit plus que dans les Landes, ajuste sa production à ses besoins en térébenthine (environ 30 tonnes par an).

« On n’imaginait pas que ce serait si difficile, si long et si coûteux, sourit Marie-Laure Delanef, qui a pu compter sur le soutien de la Région Nouvelle-Aquitaine dans ce projet. Mais aujourd’hui, on récolte une résine d’une qualité exceptionnelle, avec une méthode aboutie, et un bon pronostic sur la rentabilité. »

Car là est l’enjeu majeur pour que cette relance du gemmage s’inscrive dans la durée. En 2010, Henri Emmanuelli, président du Conseil départemental, jetait un regard circonspect sur l’initiative menée par Holiste, rappelant qu’il avait vu passer de nombreux projets de relance de la gemme, vite abandonnés faute d’être rentables.

Comment Holiste compte réussir là où d’autres ont échoué ? En se positionnant comme un produit haut de gamme. « Nous, on est sur un marché de niche, de qualité, c’est un peu comme la différence entre le bio et le non bio, image Luc Leneveu. En termes de prix, on ne peut pas concurrencer les Chinois, ni même les Portugais et les Espagnols. »

Sachant qu’Holiste utilise la térébenthine qu’elle produit pour ses propres besoins, la question vaut surtout pour l’autre matière issue de la résine de pin, la colophane. Elle entre dans la fabrication des encres d’imprimerie, des caoutchoucs, des adhésifs, et représente 70 % de la résine (contre 30 % pour la térébenthine).

Sportifs et musiciens

Trouver des débouchés pour la colophane landaise est donc essentiel, alors que son coût de revient est environ deux fois plus élevé que celle de ses concurrents moins vertueux. « Il y a déjà des marchés qui assument nos tarifs, assure Marie-Laure Delanef. Il ne faut pas se comparer avec la colophane du Brésil ou de Chine, qui n’est pas de la même qualité. La nôtre est non allergisante, elle peut être utilisée dans les cosmétiques ou par des sportifs qui ont besoin d’une matière collante. »

La dirigeante regarde aussi vers les musiciens. Ils appliquent de la colophane sur les crins de l’archet pour qu’il adhère sur les cordes d’un violon, par exemple. « On s’est associé à un archetier célèbre pour créer un produit, et on s’est aperçu que ce n’était pas un petit marché », note la dirigeante.

Une piste de plus pour croire à une relance durable du gemmage industriel dans les Landes. Sachant qu’Holiste, avec ses recherches au long cours menées à Biscarrosse, a prouvé depuis longtemps qu’elle avait de la suite dans les idées.

(1) À ne pas confondre avec la sève du pin. La gemme, ou résine, est un produit de cicatrisation que le pin élabore et qu’il a la possibilité d’envoyer en réaction aux agressions (blessures, attaques d’insecte).
(2) Office national des forêts.