Le débat sur l’assainissement du foncier agricole revient au-devant de la scène en Algérie.
Dans une récente déclaration sur la chaîne Echourouk, le secrétaire général de l’Union nationale des paysans algériens, Abdellatif Dilmi, a souhaité un assainissement de ce dossier.
Il souhaite que les terres agricoles non exploitées soient saisies et remises à d’autres exploitants.
Il a notamment cité le cas des terres les plus riches et disposant de moyens d’irrigation.
« Si de vrais agriculteurs ont reçu des terres et ont des problèmes cela doit être étudié au cas par cas. Par contre si ce sont des bénéficiaires qui n’ont aucune relation avec l’agriculture, ces gens doivent être poursuivis par la justice et ils devront rendre ces sommes », a déclaré le représentant de l’Unpa qui est à la tête de la laiterie Hodna de Msila.
Il a indiqué qu’un programme de recensement des terres non exploitées est en cours.
« Ces terres devraient être attribuées à des jeunes sortant des universités et des instituts agronomiques qui sont sans emploi. Ils doivent être prioritaires pour exploiter ces terres. Nous avons besoin de ces terres et en particulier des terres fertiles et celles disposant d’eau de surface ou d’eau souterraine » , a-t-il ajouté.
Abdellatif Dilmi a parlé de « devoir qui nous incombe. Ces terres doivent être travaillées pour être productives et contribuer à l’autosuffisance alimentaire » de l’Algérie.
Il s’est félicité que le ministère de l’Agriculture et du Développement Rural prépare une loi pour « enlever ces terres aux personnes qui en ont bénéficié et qui ne les travaillent pas ».
Il a détaillé différents cas : « Il y a des bénéficiaires qui ont quitté le pays, d’autres qui sont décédés et d’autres dont les héritiers sont à l’étranger, il y a des gens qui ont vendu ou loué. C’est pour cela que nous avons demandé l’assainissement du foncier agricole d’une façon continue et définitive ».
Il a également abordé le cas des bénéficiaires de concessions agricoles qui ont bénéficié de prêts aux montants considérables sans qu’aucune réalisation n’ait été engagée.
Des concessions au statut différent
Lorsque Abdellatif Dilmi évoque les terres distribuées, cela renvoi à une multitude de bénéficiaires.
En Algérie, c’est la loi de l’Accession à la propriété foncière agricole (APFA) de 1983 qui a ouvert l’accès à la mise en valeur des terres du domaine privé de l’État des zones saharienne et steppique. Celles-ci ont été déclarées propriété de l’État en 1970. La réglementation n’a cessé d’évoluer au fil des années.
En 1997, le programme dit la Générale des concessions agricoles aménage des parcelles de moins de 5 hectares et les cède à des bénéficiaires avec possibilité d’accès à la propriété privée.
Mais en 2008, comme le notent des universitaires, la concession « cesse donc d’être une phase transitoire avant l’accès à la pleine propriété. L’accès à la terre dans le cadre de l’APFA (avec établissement d’un droit de propriété privée) est restreint aux terres vivifiées par les particuliers sur leurs fonds propres ».
En 2011, la loi devient plus restrictive. L’établissement d’un droit de propriété ne devient possible qu’aux seules régions sahariennes. Depuis 2008 en zone de steppe, la concession est donc l’unique mode d’accès au foncier agricole public.
Les années 2011 et 2017 verront le lancement de larges programmes d’attribution de concessions et d’octroi de crédits bonifiés.
Aux côtés de ces bénéficiaires, existent ceux des Exploitations agricoles collectives ou individuelles (EAC et EAI).
Des exploitations issues de la restructuration des anciens domaines autogérés entamée en 1987.
Il s’agit de 700.000 hectares de terres situées au nord et qui comptent parmi les plus fertiles ; des terres confisquées durant la colonisation.
Les attributions se font sur la base de concessions d’une durée de 40 ans renouvelables mais sans que ce titre puisse être cédé au profit d’autrui.
Le mode d’exploitation des terres varie, la location de terre est autorisée sur les terres sous statut APFA mais elle est interdite pour les concessions.
Des résultats contrastés
En 2018, la superficie attribuée atteignait plus de 2,5 millions d’hectares mais un tiers était réellement mis en valeur. Aussi, dès 2018, comme le réclame le secrétaire général de l’UNPA des opérations d’assainissement sont lancées.
En février 2022, le ministère de l’Agriculture et du développement rural a annoncé « la récupération de 750.000 hectares de terres agricoles sur une superficie totale de 2.750.000 hectares ».
Co-auteur d’une étude, l’agro-économiste Ali Daoudi dresse le bilan de l’AFPA : « L’arrivée, puis la réussite des exploitants non natifs ont dynamisé la mise en valeur agricole. De nouveaux pôles agricoles ont ainsi émergé dans certaines régions sahariennes (Biskra, El Oued, El Mniaa) et steppiques (Rechaiga, Ouessara, Aflou, El Maadher), conduisant à un changement de la géographie de la production agricole de l’Algérie ».
L’auteur indique un changement du paysage agricole : « Les cultures maraîchères, et dans une moindre mesure l’arboriculture, la céréaliculture et les cultures fourragères, se délocalisent graduellement vers les régions arides, bénéficiant, comparativement au Nord, d’un avantage comparatif quant à l’accès à l’eau (souterraine) et au foncier, le coût du transport étant atténué par les grands investissements publics en infrastructures routières et par le coût très faible du carburant ».
Développement des pratiques de location
Parallèlement à l’attribution de concessions, les cas de location de terre se sont développés en Algérie.
Bien qu’illégale dans le cas des concessions, les concernés passent outre favorisés par l’absence de contrôle.
Ali Daoudi en arrive à la conclusion que « le statut de concessionnaire est de fait assimilé, par les bénéficiaires, à celui de propriétaire ».
La même situation est observée au nord du pays. En 2010, co-auteur d’une étude en Mitidja, Tark Hartani de l’École nationale supérieure d’agronomie (Ensa) d’El Harrach montre que de nombreux attributaires louent tout ou en partie des terres.
Ce serait le cas de 70 % des EAC de la Mitidja. Certains attributaires se retrouvent simples ouvriers agricoles chez leur locataire.
Le développement de la culture sous serre a favorisé un phénomène de location et de sous-location dans la mesure où quelques dizaines d’ares suffisent à installer des serres et tirer de la terre un revenu agricole.
Enquêtant sur le terrain, les universitaires recueillent des témoignages. Un agriculteur confie : « Nous avons 350 serres toutes installées dans des EAC ».
Dans certains cas des EAC ou des EAI vont jusqu’à vendre une partie des terres alors qu’il s’agit de concessions inaliénables. L’absence de contrôle a favorisé des pratiques illicites dont des constructions sur ces terres.
La création des EAI et EAC datant des années 1980, nombre d’attributaires sont aujourd’hui à la retraite ou sont décédés. Bien que la concession soit transmissible à leurs héritiers des transactions illicites ont pu avoir eu lieu.
Lorsque le secrétaire général de l’Union des paysans algériens évoque « des bénéficiaires qui ont quitté le pays, d’autres qui sont décédés et d’autres dont les héritiers sont à l’étranger, il y a des gens qui ont vendu ou loué », il ne précise pas s’il s’agit de cas au sud ou au nord.
Location et accaparation d’une rente
Cette location au niveau des concessions permet aux attributaires de capter une rente aux dépends des agriculteurs locataires et des consommateurs.
Une situation qui a fait bondir l’économiste Abdellatif Benachenhou : « La Mitidja coloniale envoyait son argent en métropole. La Mitidja actuelle continue à alimenter des circuits et des rentes ailleurs, en particulier dans le commerce et l’immobilier ».
L’exigüité des terres de la Mitidja ne permet pas d’accueillir la masse des jeunes sans emploi.
L’économiste note que : « Certains acteurs, à l’étroit dans la Mitidja, sont allés ailleurs planter leurs fruits et légumes et sont ainsi porteurs d’un nouveau savoir technique vers Biskra, Laghouat et Tiaret et probablement ailleurs aussi ».
À l’intérieur du pays et au sud, Ali Daoudi et ses co-auteurs indiquent que : « Le faire-valoir indirect [association] a permis de percevoir une rente tout en conservant leur patrimoine foncier, et ceux qui ont cédé en location à titre provisoire, le temps d’accumuler du capital et/ou d’acquérir de l’expérience techno-managériale ».
Il apparaît ainsi que les agriculteurs étrangers aux zones de mise en valeur ont apporté un savoir technique mais également influencé les structures de production.
« Leur installation, en tant que telle, correspond à l’émergence d’un nouveau type d’exploitation. Au-delà de cet effet direct, ils contribuent également à transformer progressivement les modalités d’exploitation des agriculteurs natifs en diffusant un modèle d’exploitation familiale fortement intégrée aux marchés, voire un modèle d’exploitation entrepreneuriale », notent ces universitaires.
Au delà de l’accaparement d’une rente, les pratiques de location des attributaires de concessions auront modifié le paysage agricole.
Foncier agricole, des enjeux considérables
Les déclarations du secrétaire de l’Union des paysans algériens viennent rappeler combien les enjeux liés au foncier agricole ont de tout temps été considérables en Algérie.
Un cas moins connu est celui de la ferme Dufourg à El Outaya (Biskra) où en 1860 Napoléon III s’y est arrêté lors d’une tournée en Algérie.
À El Outaya, le colon Dufourg avait remarqué les petits barrages de terre disposés par les éleveurs de la tribu des Seharis en travers du lit de l’oued et qui permettaient à l’eau des crues d’arroser deux fois dans l’an la plaine.
Des pierres de taille témoignaient d’une ancienne occupation romaine sur les lieux. La promulgation du sénatus-consulte de 1836 lui facilita l’accaparement de 12.500 hectares de terre.
Après l’indépendance, la ferme Dufourg est devenu la ferme d’État Driss Amor du nom du premier adjoint de Si El Haouès tombé au champ d’honneur en 1959 à l’âge de 29 ans près de Boussaâda.
La ferme Driss Amor, s’est heurtée en 2012 à de nouvelles revendications, celles des agro-pasteurs de la tribu des Seharis affirmant être « exploitants de père en fils avant même l’arrivée du colon Dufourg dans le pays ».
Une commission d’enquête a été dépêchée sur les lieux par la daïra pour examiner le cas d’une partie de la plaine où à Lahzima, 400 personnes réclament des droits sur 600 hectares de terre.
En 2020, des jeunes chômeurs ont bloqué les accès menant aux pivots irrigant les champs de blé dans un souhait « de réparation ancestral » selon un témoin de passage.
Plus au sud, en 2020, l’Office national des terres agricoles a procédé au retrait de 58.000 hectares accordés en concession à Ali Haddad et à Bilel Tahkout fils de l’homme d’affaires Mohièdine Tahkout.
Face aux appétits divers, l’agro-économiste Omar Bessaoud se demandait en 2017 : « Qu’attend l’État pour définir les règles de la location des terres et encadrer le marché des droits de location des terres alors que depuis 1987 ce marché est actif et fonctionne au détriment des producteurs de richesses ? »
Au désir d’appropriation de la terre au motif de la croissance agricole, l’universitaire se fait fort de rappeler que « dans les pays industrialisés capitalistes libéraux, l’objectif premier des législations foncières adoptées n’était pas tant de favoriser l’accès à la propriété foncière aux exploitants agricoles que de leur assurer la stabilité nécessaire à la modernisation de l’exploitation et à l’accroissement de leur productivité ».
Il ajoute que « ces pays ont privilégié le renforcement des droits des exploitants agricoles et ont soumis la propriété foncière à une fiscalité contraignante ».
Dans un récent livre « Hold-up sur la terre » l’essayiste française Lucile Leclair rappelle qu’en France, le statut du fermage permet de protéger les agriculteurs locataires de terre. Un mode de faire-valoir qui représente aujourd’hui plus de trois quarts des terres agricoles françaises.
À travers ses déclarations, Abellatif Dilmi aura rappelé l’apprêté du sujet. Nul doute que les aménagements actuellement préparés par le ministère de l’Agriculture seront scrutés à la loupe.
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