Reportage. Combat pour des terres : le champ de bataille des agriculteurs bretons

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Une guerre pour les terres agricoles a lieu en Bretagne. Entre peur, intimidation et contournement des réglementations les agriculteurs se battent pour permettre à des jeunes de s’installer et à l’agriculture biologique de se développer.

Six hectares de bonnes terres quelque part dans les Côtes-d’Armor. Depuis deux ans, Pierre et sa compagne ont obtenu de la part de la préfecture l’autorisation d’exploiter un champ. Problème, impossible pour eux d’accéder à la parcelle. Du colza a été semé il y a peu sur cette terre agricole mais pas par eux. Un voisin s’est approprié leur champ.

Notre voisin s’est approprié cette parcelle contre tout cadre légal. Nous devrions normalement pouvoir cultiver ce champ.

Pierre, agriculteur dans les Côtes d’Armor

Une occupation illégale contre laquelle ce couple de paysans se bat avec leur avocat pour faire reconnaître leurs droits. L’histoire avec leurs voisins récalcitrants avait pourtant bien commencé. Au départ un échange de terre était prévu entre les deux fermes pour faciliter le travail de chaque exploitation. Cet échange n’aura jamais eu lieu. Leur voisin agriculteur, déjà propriétaire de plus de 200 hectares de terre, cultive pour l’instant sur les parcelles en toute impunité.

Sa compagne est abattue par cette situation. “C’est toujours ceux qui ont plus de terre qui arrivent à s’approprier encore plus de terre, illégalement” souffle l’agricultrice. “C’est jamais des petites fermes familiales qui sont dans des schémas comme ça”.

Pour ces éleveurs le temps est compté. Si d’ici 2024 ils ne peuvent prouver qu’ils ont cultivé leur champ, la loi prévoit que leur autorisation d’exploiter tombera. Un cas d’accaparement illégal des terres qui est loin d’être unique en Bretagne

“Il y a des gens qui ont intérêt à ce que personne ne parle pour ne pas faire de remue-ménage dans les campagnes” commente Pierre. “Si les plus petits ou les plus fragiles s’écrasent… Ça se passe ainsi.”

Lire : Enquête sur les terres agricoles. Empires fonciers, intimidations, contournements : pour quelques hectares de plus

Pour mettre de l’ordre et de la régulation dans les campagnes, une autorité a pourtant été mise en place depuis les années 60, les Safer, les sociétés d’aménagement fonciers et d’établissement rural. Cet organisme sous tutelle de l’État gère une partie des ventes de fonciers agricoles.

Lors de notre reportage, une réunion va devoir départager des candidats pour l’achat de terre dans quatre départements bretons. Le chef d’orchestre de l’opération, c’est Thierry Couteller le directeur de la Safer Bretagne.

Dans son bureau, tous les actes notariés signés depuis le début de l’année par la Safer Bretagne sont classés, organisés. “La Safer Bretagne, c’est 1000 actes notariés par an” assure le patron des lieux.

Dans ses locaux, 4000 des 20 000 hectares qui changent demain chaque année en Bretagne sont passés au crible. Les terres sont devenues un véritable or vert dans la région.

Le foncier agricole diminue du fait de l’artificialisation des sols. Donc voilà, c’est une denrée rare qui ne se renouvelle pas.

Thierry Couteller, directeur de la SAFER Bretagne.

“Le foncier agricole diminue du fait de l’artificialisation des sols. Donc voilà, c’est une denrée rare qui ne se renouvelle pas” souligne Thierry Couteller. Exceptionnellement, nous avons pu assister à cette séance qui se tient toujours à huis clos, dont le but est de choisir les futurs propriétaires des terres.   Réunis dans la même pièce, les syndicats agricoles mais aussi les Chambres d’agriculture, les banques et une commissaire du Gouvernement. Tous vont se focaliser sur ces plans où chaque tâche de couleur correspond à un candidat à l’achat.   

Lire : Enquête sur les terres agricoles. La Safer, l’outil rouillé de la régulation foncière

Les Safer peuvent désormais, grâce à une loi, scruter dans des transactions jusque-là opaques : celle des parts sociales. Des sortes d’actions qui transforment les exploitations en véritables sociétés financières. Une pratique qui peut aboutir à la naissance de ferme géante de plusieurs centaines d’hectares.

“On se rendait compte qu’on travaillait sur un marché qui était un marché de fonciers agricole qui a été siphonné par l’intermédiaire des parts sociales”. Selon le directeur de la Safer Bretagne, “beaucoup de mutations de fonciers se faisaient sous forme de parts sociales qui échappaient à toute forme de régulation”.

La Safer veille aussi aux grains quant à la stabilité du prix à l’hectare, 5000 euros en moyenne en Bretagne contre 70 000 euros au Pays-Bas.

Mais encore faut-il pouvoir louer ou acheter des terres. Depuis 2020, une éleveuse qui préfère garder l’anonymat veut monter sa ferme de lait bio. Là encore, malgré son autorisation d’exploiter, elle ne peut mener son projet à terme.

L’agriculteur avec lequel elle avait trouvé un accord a finalement préféré une exploitation conventionnelle à la recherche de surface pour l’épandage de lisier. Une situation en contradiction avec les priorités de l’État et de la région. 

L’éleveuse bio reproche à la Région de tenir un double discours.  “La région se complaît de quelques projets en agriculture biologique. Mais derrière il y a des laissés-pour-compte. Il y a plein d’autres projets tout aussi vertueux, tout aussi viable économiquement qui sont abandonnés”. Elle est désabusée. “Moi, je suis complètement dans le cadre et pourtant ils n’ont pas su me permettre de m’installer avec un projet viable”.

Une guerre pour les terres agricoles qui s’intensifie et se complexifie. “Lorsqu’un propriétaire veut vendre une terre, il s’expose effectivement aux droits de préemption de la SAFER” glisse un agriculteur syndicaliste à la Confédération paysanne. Pour lui et d’autres agriculteurs syndiqués, les textes qui régissent le foncier agricole doivent encore se durcir. 

Lire : Enquête sur les terres agricoles. Promis, juré, craché : la brutalité du marché foncier

Eux pointent du doigt les contournements de la Safer. Une des solutions mise en place par ceux qui veulent échapper à la Safer est le bail rural : il permet à un agriculteur qui va partir à la retraite de louer ses terres pendant trois ans. Le locataire sera ensuite prioritaire pour l’achat.

Autre parade, le démembrement de propriété. Dans ce cas, le propriétaire d’une parcelle vend les terres, ce que l’on appelle la nue-propriété, mais conserve l’usufruit, c’est-à-dire l’utilisation. Trois ans plus tard, il peut céder cet usufruit à l’acquéreur de ces terres et la Safer n’a pas son mot à dire.

Contre cela, les membres de la Confédération paysannes ont mis en place un système de veille et de vigilance. Grâce aux informations disponibles sur Internet, ils chassent les cessions de parts sociales, les agrandissements excessifs ou les manœuvres de contournement.

“Le mouvement actuel de l’industrialisation de l’agriculture contribue d’une part avoir des exploitations de plus en plus grandes et d’avoir de moins en moins d’agriculteurs sur le terrain” fait valoir un membre de la Confédération paysanne. “Nous, c’est justement ce qu’on ne veut pas. C’est pour cela qu’on met tous ces outils de régulation du foncier en place, pour résister”.

Une guerre du foncier agricole est en cours pour permettre à des jeunes de s’installer et à l’agriculture biologique de se développer. Une bataille qui se déroule au moment où des milliers d’hectares vont se libérer suite au départ en retraite de toute une génération d’agriculteurs bretons.

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