Histoire. Les 1000 vies de la place des Terreaux

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Cet article a été initialement publié en 2017. Nous le republions dans sa version originale.


La place des Terreaux, en ce moment, c’est un peu la place des lamentations. L’oeuvre géométrique de Buren est dans un sale état, ses cubes sont ébréchés, ses lignes brisées, et les 69 fontaines au sol ne rafraîchissent plus depuis longtemps les passants qui arpentent ce sol abîmé. La fontaine Bartholdi est en cours de restauration, déménagée dans les ateliers de la fonderie Coubertin. Reste les immenses terrasses des cafés qui dévorent la partie nord de la place, tandis qu’un flot de cyclistes et de passants cherchent désespérément leurs chemins. Après sa sécurisation, après le retour d’Amphitrite et de ses anges prévue à l’automne, la place sera intégralement repensée avec ses deux concepteurs originels et livrée au IIe semestre 2019 (lire ci-dessous). Plus de cinq siècles ont forgé cette place et 1 000 vies en ont jalonné son histoire depuis 1556, date de sa première mention dans les archives municipales.

Aux origines des Terreaux

Les origines du quartier des Terreaux sont peu connues. À l’époque romaine, la zone est un terrain boueux, coupé d’enceintes, d’escarpes et de fossés. Le principal est sans doute celui de la Lanterne, situé en bord de Saône et habité par quelques pêcheurs. Une légende populaire voulait que l’actuelle place des Terreaux ait été traversée par un bras du Rhône, comme s’il s’était brusquement détaché du fleuve pour couper en ligne droite la place jusqu’à la Saône. Une autre légende est celle d’un canal navigable artificiellement creusé par les Romains. Mais aucune trace de ce canal n’a été retrouvée lors des différentes fouilles débutées dès 1414.

Aux VIe et VIIe siècles, deux grandes fondations religieuses sont apparues dans le quartier des Terreaux, autour desquelles les premières habitations vont naître et se grouper : l’église Saint-Nizier et l’abbaye des Dames de Saint-Pierre, qui compte cent religieuses au IXe siècle. C’est leur présence sur ce terrain – et leur volonté de discrétion – qui permettra, six siècles plus tard, la création de la place des Terreaux.

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La place des Terreaux en 1648-1661

La naissance de la Place des Terreaux

Lorsqu’elles cèdent à la ville, en 1559, leurs droits sur la rente des Fossés – un revenu annuel foncier – les moniales exigent, « afin que nul ne puisse regarder par-dessus les murs de leurs jardins », de ne jamais construire sur l’esplanade. Elles obligent la municipalité de la laisser libre et de « la mettre en place publique ». La place naît ainsi d’un espace épargné entre la boucherie municipale dite de La Lanterne, c’est-à-dire un abattoir, un temple protestant et son cimetière.

Un quartier s’ébauche et des petites maisons s’implantent sans grand ordre autour de ces bâtiments. Il va donner naissance au quartier Saint-Nizier-les-Terreaux. Mais les communautés religieuses encombrent encore le quartier de leurs cloîtres et de leurs jardins : l’abbaye de Saint-Pierre s’étend alors jusqu’à la place actuelle de la Comédie et la rue Pizay.

Le quotidien des habitants est encore fait de misère et l’espace vacant près de l’abbaye, reste une place laide et étriquée, déshonorée par le marché aux porcs, ou animée des entraînements d’arbalètes et des exécutions capitales. C’est dans cet état qu’elle voit, le 12 septembre 1642, tomber les têtes du marquis de Cinq-Mars, le favori du roi Louis XIII, et de François-Auguste De Thou (conseiller au Parlement et ami du marquis), suite à une conspiration contre le cardinal Richelieu, qu’ils auraient voulu assassiner avec les Espagnols.

L’Hôtel de ville s’installe place des Terreaux

Avant d’être sur la place des Terreaux, l’Hôtel de ville de Lyon était installé à l’Hôtel de la Couronne, actuel musée de l’Imprimerie, rue de la Poulaillerie. La place des Terreaux va véritablement prendre de l’importance dans la cité avec la volonté du représentant du roi Louis XIV à Lyon, Camille de Neuville de Villeroy, de doter la cité d’un Hôtel de ville digne de ce nom.

Il se trouve précisément un terrain encore à acquérir à l’est de la place, près du jeu de l’hacquebute (jeu de tir). La municipalité fait alors dresser plusieurs plans, et c’est celui de l’architecte Simon Maupin qui est retenu. Les travaux ne tardent pas : ils sont lancés dès la réception des lettres-patentes (actes administratifs). La pose de la première pierre a lieu le 5 septembre 1646, et le bâtiment est achevé en 1648. S’élève alors un palais municipal – dont une maquette est visible aux musées Gadagne – ni solennel, ni lourd, à propos duquel Édouard Herriot dira qu’il est « exquis de grâce et de fine raison ». Dès lors, c’est dans cet Hôtel de ville que se dérouleront les cérémonies consulaires.

Incendié accidentellement en 1674, le monument devra, faute d’argent, attendre pour sa restauration jusqu’en 1700. Un travail qui sera effectué par Jules Hardouin-Mansart. Ce dernier laisse une œuvre bien différente du premier, puisqu’il ajoute un étage ainsi qu’un beffroi. Dès la livraison de cette création, l’église Saint-Nizier cesse d’abriter les fêtes municipales, à la faveur de l’Hôtel de ville. La reconstruction du corps principal du bâtiment de l’Hôtel de ville assoit définitivement la place dans son statut de grande place publique.

Entretemps, la place sera définitivement complétée et dessinée au sud, entre 1648 et 1686, par l’imposante façade de l’abbaye Saint-Pierre, confiée à l’architecte François de Royers de la Valfenière qui rénove le monastère. Avec ces nouveaux monuments le quartier se transforme, s’anime et s’embellit.

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Place des terreaux en 1661 ©Gadagne

Place des Terreaux, le coeur civil de Lyon

Pendant la seconde moitié du règne de Louis XIV, le quartier s’embourgeoise à mesure que nombre d’ouvriers s’en vont travailler et habiter dans le bourg de la Croix-Rousse. Accaparée durant le jour par les négociants qui débattent de leurs affaires en plein air, la place des Terreaux voit en soirée la riche société venue de Bellecour envahir ses cafés pour déguster des élixirs tels que l’eau d’arquebuse, le parfait-amour, ou le rossoli.

La place très fréquentée fait référence, au point d’inspirer une comédie de Biancolelli, jouée à Lyon en 1712, intitulée La Promenade des Terreaux de Lyon. Comme le conte aussi cette comédie, un autre spectacle, moins idyllique celui-là, commence à l’heure du souper, tandis que les négociants quittent la place, « les chauves-souris » (les prostituées) du quartier de la Pêcherie viennent à leur tour.

Sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, la place est désormais le cœur civil de Lyon. Ils s’y coudoient extrême opulence et extrême misère. Les voyageurs, qui descendent dans les hôtels qui la bordent, s’y récréent, s’émerveillent de ce lieu « où l’on trouve de quoi se rafraîchir dans une infinité de petites boutiques, très propres et très bien éclairées, où l’on vend des liqueurs et des eaux glacées de toutes sortes » et où les messieurs peuvent même « régaler les dames sans que cela tire à conséquences » (Benoît – 1765).

Le quartier dégage alors une impression d’élégance et de luxe. Cependant, non loin de là, les canuts étouffent dans d’étroits espaces et mènent une vie misérable. Les fêtes données à l’Hôtel de ville sous leurs yeux irritent leurs envies. Le peuple accuse la Municipalité de gaspillage. Il proteste ainsi, en 1744 et 1786, contre les profits des patrons de la Fabrique de soie par des grèves terribles, dont les meneurs seront pendus… place des Terreaux.

Un centre des affaires, de la culture et de l’éducation

Sous le Consulat (1799-1804), l’Hôtel de ville sera restauré par deux fois. En 1805, le Palais Saint-Pierre devient propriété municipale. Il accueille, désormais, le Musée, la Chambre de Commerce, l’école de dessin d’où sera créée l’École des Beaux-Arts, ainsi que les facultés de droits et de lettres.


Les Terreaux, avant tout une histoire d’eau

Pas moins de six fontaines se sont succédées sur la place des Terreaux. Des monuments jugés trop petits ou pas assez esthétiques qui finiront par laisser leur place à l’actuelle fontaine Bartholdi.

La longue histoire entre l’eau et les Terreaux débute à la seconde moitié du XVIIe siècle. La première fontaine, qui va trôner au centre de la place entre 1648 et 1661 est conçue par l’architecte-voyer concepteur de la place, Simon Maupin. De part et d’autre d’une pyramide de plan carré surmontée d’une croix de laiton, se trouvaient quatre vasques disposées en trèfle et recueillant l’eau des quatre lions marins sculptés dans la pierre. L’eau est d’abord fournie par une machine hydraulique posée sur le Rhône, puis par un complexe de sources captées après l’échec de la première machine. Cette fontaine jugée de proportions trop mesquines, est transférée sur l’esplanade de Fourvière où elle reste jusqu’en 1747. Elle est alors démolie et les matériaux remployés à l’agrandissement de la chapelle de la Vierge.

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Fontaine Simon Maupin devant l’abbaye Saint-Pierre, place des Terreaux ©DR

Une seconde fontaine lui succède, de 1661 à 1698, dessinée par Nicolas Bidault. De goût plus fortement baroque, elle se compose d’un bassin étoilé et d’un lourd piédestal qui porte une vasque et son jet. Ses inscriptions latines annoncent le triple félicité du royaume : la paix avec l’Espagne, le mariage de Louis XIV et la naissance du Dauphin. Elle n’est guère appréciée non plus, et en 1696, la municipalité qui envisage d’ériger à sa place le monument équestre de Louis XIV propose de la démolir arguant de « sa difformité » qui « blesse les yeux de tout le monde ».

Entre 1698 à 1730, une nouvelle fontaine prend place, composée d’un bassin circulaire et d’un dragon de bronze. Mais le jet fonctionne mal, il faudra même scier « par trois fois » la queue du dragon. Elle est ensuite remplacée entre 1730 et 1856 par deux petites fontaines jumelles, adossées aux angles de la façade de l’Hôtel de ville. L’élégance rocaille de ces petits monuments (dont l’une est encore visible à Fourvière) provient du talent de Michel Perrache qui les a dessinés avant de faire tailler le marbre.

Le centre de la place reste alors désespérément vide. Jusqu’à ce qu’en 1840, les sculpteurs Rozer et Vergnais proposent un monument composé d’une statue de la ville de Lyon avec ses attributs, sur un piédestal, et l’oeuvre de Coustou, actuellement place Bellecour.

L’adduction d’eau du Rhône en 1856 permettra enfin de décorer la place d’une fontaine efficace en fonte de série et dessinée par Liénard. Tritons, oiseaux et végétation aquatique forment l’essentiel du décor de cette oeuvre inspirée du XVIIIe siècle. Mais elle se révèle trop petite et on la transporte en 1892 place Guichard où, très endommagée, elle est supprimée en 1946.

Elle laisse alors sa place à celle de Bartholdi, inaugurée le 22 septembre 1892. Initialement conçue pour la ville de Bordeaux, présentée à l’Exposition universelle de 1889, elle fut acquise sous Gailleton. À la fois classique et baroque, la fontaine est considérée comme l’une des plus belles œuvres de son époque. Actuellement en restauration, elle doit faire son grand retour public à l’automne.


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Place des Terreaux vers 1850

Dans ce Lyon, que Napoléon a fait « centre du commerce des soies » et « capitale de l’industrie », les Terreaux sont le centre même des affaires, le point de départ et d’arrivée des diligences qui relient Paris. Ses hôtels et ses cafés datant du siècle précédent regorgent de clientèle. Et avec les passages de troupes, l’or gagné sur les champs de bataille de l’Europe tinte et roule dans tous ces établissements. Les Terreaux sont devenus le quartier le plus actif, le plus pittoresque, le plus élégant de Lyon.

Bien que les ouvriers remontent en grand nombre vers la Croix-Rousse, le quartier demeure encore habité en majorité par des détaillants et des artisans. La place reste d’un pittoresque sans charme. La boucherie des Terreaux laisse le sang ruisseler dans ses rigoles, et s’entoure de ruelles infectes. Partout à proximité de la place, les crocheteurs s’animent, trimballent pièces de viande ou gros ballots de soie.

La place des Terreaux s’aère et s’ouvre à la ville de Lyon

Autour de la place, les rues restent enchevêtrées, étroites, sombres et peu sûres. Le maire Jean-François Terme (1840-1847) s’intéresse à l’amélioration de la partie ouest de la place des Terreaux. Après la construction à Perrache d’un abattoir, la boucherie municipale est rasée en 1838, laissant des terrains. Le quartier commence à s’aérer. La rue Centrale (rue de Brest) est percée en 1846, pour désenclaver les voies autour de l’Hôtel de ville.

Le 24 mars 1852, le nouveau régime remplace la municipalité élue par un préfet. Le préfet vient s’installer à l’Hôtel de ville et l’urbanisme devient une affaire d’État. Il se nomme Claude-Marius Vaïsse et suit l’exemple des grandes percées haussmanniennes. Il prescrit à la fois le percement d’une voie – la rue Impériale (rue de la République) – et la reconstruction du « Massif des Terreaux » (le bâtiment face à l’Hôtel de ville), rendue obligatoire, suite de la percée de la rue Centrale.

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Place des terreaux ©DR

Au cours de l’année 1858, la réussite de la rue Impériale appelle une autre opération : celle de créer une voie entre la place des Terreaux et celle des Jacobins. En 1863-1864, l’ensemble est réalisé et débouche sur l’angle sud-est de la place, avec de nouveaux immeubles qui renouvellent la silhouette de la place. S’en suivront l’ouverture de la rue de l’Impératrice (rue Édouard-Herriot) et l’élargissement de la rue Joseph-Serlin qui donneront à la place sa disposition actuelle.

Un nouveau visage attendu pour 2019

Sous le nom de code « Opération coeur Presqu’île », la Métropole de Lyon a lancé la rénovation et l’embellissement de dix espaces publics emblématiques du centre-ville. En très mauvais état, la place des Terreaux est évidemment un gros morceau du programme. Le top départ de la rénovation de la place a été lancé par la réfection des voiries en 2015 suivie du lancement, l’été dernier, de la rénovation de la fontaine Bartholdi.

Très fragilisée par la rouille et les fissures, elle est actuellement en restauration dans une fonderie de la région parisienne. Elle sera ensuite réassemblée place des Terreaux à partir de mai prochain. La repose de la structure statuaire devrait prendre 3 mois, avant de laisser place aux installations techniques, la mise en eau et la mise en lumière. La fin des travaux est prévue pour l’automne. Ensuite, ce sera au tour de la place elle-même d’avoir droit à un lifting franchement mérité. Les travaux vont notamment s’attacher à la remise à neuf de l’œuvre de Daniel Buren et Christian Drevet inaugurée en 1994.

Dans un premier temps, les dallages – souvent affaissés – de 57 des 69 microfontaines vont être changés pour faciliter le cheminement des piétons. Ce qui signera la fin des mini-fontaines – qui n’auront fonctionné que quelques mois après l’inauguration – puisque le projet de rénovation prévoit un remplissage de béton. Toutefois, les dalles existantes, qui font partie intégrante de l’œuvre de Buren et Drevet, vont être enlevées et stockées afin de permettre leur réemploi éventuel.

En effet, après des années de polémique entre l’artiste et la mairie autour des responsabilités du délabrement de la place, la place sera finalement intégralement repensée avec ses créateurs, pour une livraison de la requalification prévue pour fin 2019. La voie de bus va notamment être redimensionnée, et les escaliers qui mènent à la place du Griffon remis aux normes.


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