Pomme de terre : la France saura-t-elle prendre le tournant

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Particulièrement résiliente, la filière de la pomme de terre est l’une des mieux portantes en France et bénéficie de nombreux avantages concurrentiels. Pourtant, certains défauts structurels fragilisent la compétitivité du tubercule français, particulièrement exposé aux réglementations environnementales et sanitaires.

Une filière vitale pour l’agriculture française

Originaire d’Amérique du Sud, la pomme de terre est un emblème de la culture populaire française. Au fil du temps, elle a été associée à d’autre produits locaux dans les plats traditionnels : combien de fromages fondants sont à déguster sur des pommes de terre ? Raclette, mont d’or, cancoillotte, reblochon… Ce tubercule est très apprécié par les Français qui en consomment en moyenne 13 kilogrammes chaque année.

L’importance nutritive et culinaire de la pomme de terre explique sa place majeure dans l’agriculture française. Aujourd’hui, la France en produit 8,9 millions de tonnes chaque année sur 176 800 hectares : c’est le deuxième pays producteur européen. De son nom familier patate, elle peut être consommée telle quelle (pommes de terre fraîche) ou être transformée. Elle sera alors déshydratée, transformée en frites, purée, chips… La France est spécialisée sur le frais avec une production de 7 millions de tonnes par an. Le surgelé est la faiblesse de la filière française : 1,7 millions de tonnes sont importées chaque année, pour une somme de 729 millions d’euros. Ce secteur est très nettement déficitaire : 288 millions d’euros en 2021.

La chaîne de valeur de ce tubercule riche en amidon n’est pas qu’à considérer sur la production, la transformation et la production. Le contrôle des plants est également important, et la France est leader dans le domaine. En effet, comme pour les semences dans les céréales, la filière de la pomme de terre à besoin de plants, préalablement sélectionnés, pour être cultivés. Toutefois, sa culture est différente des céréales, car l’agriculteur ne récupère pas le fruit, mais le tubercule. Il faut donc adapter les outils agricoles pour planter, sarcler et arracher les pieds. Il y a donc tout un business autour du développement des engins agricoles qui se structure à ce niveau, où la France peine à s’imposer. Les agriculteurs français sont donc contraints d’acheter à des entreprises étrangères ces machines. Ce sont souvent des américains ou des pays d’Europe du nord.

Compétitivité de la France en matière d’exportations 

La France est championne dans la production et la vente de pommes de terre fraîches. Sur un marché à 4,1 milliards d’euros, elle en exporte pour 563 millions d’euros. La France est donc le premier pays exportateur au monde. Les principaux pays acheteurs sont européens : la Belgique (29 % en 2022) l’Espagne (26 % en 2022), l’Italie (12 % en 2022)… L’Union européenne représente 93 % des exportations françaises, ce qui en fait un marché particulièrement stable pour la filière. Les débouchés sont quasiment assurés d’année en année.

Le marché de la pomme de terre se structure aussi autour des exportations de plants, puisque la France en est le quatrième exportateur mondial. Les ventes à l’étranger permettent de générer chaque année, plusieurs millions d’euros d’excédents budgétaires. Contrairement aux pommes de terre fraîches, les plants sont vendus pour moitié en dehors de l’Union européenne à hauteur de 53 %. Les principaux pays qui en achètent sont des pays d’Afrique du Nord, tels que la(Tunisie ou l’ Egypte).

La France joue un rôle de premier plan dans le secteur de la pomme de terre, qui dégage 200 millions d’euros de bénéfices chaque année. Incontestablement, la vente de plants et de tubercules frais compense largement les importations de produits transformés.  Si cette dynamique se poursuivra très certainement les prochaines années,  la France aurait peut-être un avantage à développer et à structurer une filière agroalimentaire de transformation de pommes de terre. Elle pourrait s’appuyer sur les organismes professionnels déjà existants ou en créer de nouveau.

Des points de fragilités structurelles amplifiés par une conjoncture macroscopique

Le Covid et l’inflation pèsent sur la demande

La filière a connu quelques turbulences lors des années covid. La consommation avait en effet chuté de 11 % car les confinements successifs dans les différents pays européens avaient conduit à la fermeture des restaurants collectifs. La baisse de la consommation avait induit une forte dégradation de la demande, et donc une chute des prix. De nombreux agriculteurs s’étaient retrouvés dans une situation délicate. Aujourd’hui, la filière a néanmoins retrouvé des niveaux de vente similaires à l’avant covid.

L’inflation générale peut être vue comme une opportunité pour la vente des tubercules. En effet, avec la baisse du pouvoir d’achat, le consommateur est contraint de se tourner vers des produits plus abordables, dont fait partie la pomme de terre. Bien que la baisse des rendements en 2022, et la récolte tardive en 2023 cumulée à l’inflation aient conduit à une augmentation du prix de la pomme de terre, elle reste néanmoins compétitive face à d’autres produits comme les pâtes, le riz ou la farine.

Des réglementations environnementales et sanitaires qui forcent à se réinventer

La filière française a rencontré quelques défis au cours des dernières années. Les questions environnementales, les aspects liés à la consommation et les enjeux de santé publique sont à repenser par la production de pommes de terre.

D’un point de vue environnemental, les agriculteurs français, les producteurs sont confrontés à des restitutions sur l’usage des pesticides. En effet, le Grenelle de l’Environnement en 2006, puis le plan ECOPHYTO de 2018, cherchent à diviser par deux l’utilisation de produits phytosanitaires dans l’agriculture. Les consommations ont baissé dans la filière de la pomme de terre, mais pas au niveau souhaité. Ceci s’explique notamment par les difficultés de production à grande échelle sans l’usage de produits phytosanitaires. Des indicateurs existent pour mesurer le volume de traitement des cultures comme l’IFT, un indicateur de fréquence de traitement qui rend compte du nombre de doses de produits phytosanitaires appliquées par un agriculteur sur une culture. Cet indicateur est de 16 pour les pommes de terre, alors qu’il n’est que de 2 pour le tournesol et de 6 pour le colza.

Aujourd’hui, les politiques publiques restent assez conciliantes avec la filière, mais il se pourrait que dans les prochaines années, l’Union européenne décide de réduire drastiquement l’utilisation de produits phytosanitaires afin d’atteindre les objectifs environnementaux posés dans le cadre du Green Deal Européen. En effet, l’UE a pour objectif 18 % de surfaces agricoles biologiques d’ici 2027. Pour France n’en n’est qu’à 10,7 % et 1,8 % pour la culture de pomme de terre.

Sur le plan de la consommation, le chlorprophame, antigerminatif le plus répandu en France, a été interdit en 2020. La filière avait anticipé la nouvelle réglementation européenne et d’autres antigerminatifs avaient été homologués entre-temps. C’est par exemple le cas du 1,4 DMN (1,4 Dimethylnaphtalène) en 2017. Toutefois, les nouveaux antigerminatifs semblent être un peu moins efficaces que les anciens, ce qui complique la commercialisation du tubercule en grande surface.

La filière de la pomme de terre, résiliente à toutes les échelles 

La coordination des producteurs assurée par une forte structuration des acteurs

La résilience de la filière française de la pomme de terre s’explique par une forte structuration et coopération des acteurs. Les fabricants de plants sont réunis autour du SEMAE [L’interprofession des semences et plants], tandis que les acteurs de la transformation sont encadrés par GIPT [Groupement interprofessionnel pour la valorisation de la Pomme de Terre], et ceux du frais par CNIPT [Comité National Interprofessionnel de la Pomme de Terre].

Ces trois structures donnent de l’envergure à la filière, permettent de coordonner les petits et les grands producteurs. Ce double niveau d’organisation, horizontal et vertical, rend la filière particulièrement compétitive face à la concurrence européenne. Cet avantage concurrentiel est renforcé par le climat favorable et les sols propices à la culture de la pomme de terre en France.

Une protection juridique des zones de production des pomme de terre

Le droit peut aussi être utilisé pour mettre en valeur certaines productions régionales de pommes de terre primeur. La France a protégé quatre productions régionales. Deux grâce à l’Appellation d’Origine Protégée (AOP), deux grâce à l’Indication d’origine protégée (IGP). L’AOP « Pomme de Terre de l’ile de Ré » protège la production de 2000 tonnes de l’île. Il en est de même pour l’AOP « Béa du Roussillon », et les IGP « Pomme de terre de Merville » et « Pomme de terre de Noirmoutier »

Un ancrage du tubercule dans la culture populaire française qui absorbe les chocs

Incontournable dans la culture française, la pomme de terre est vectrice d’une très forte identité régionale. Son rayonnement n’est pourtant pas direct : il est permis grâce au succès d’autres produits emblématiques du terroir français comme des fromages ou de la viande. De nombreux plats régionaux françaises intègrent des pommes de terre dans leur recette : raclette et tartiflette en Savoie, frites dans le nord, choucroute et baeckeofe en Alsace, aligot dans le Massif central, gratin dauphinois dans le Dauphine, hachis Parmentier à Paris, pommes de terre avec de la cancoillotte ou un Mont d’or en Franche-Comté.

Si la pomme de terre française s’impose aujourd’hui à l’international, l’adapter dès aujourd’hui aux réglementations européennes de demain permettrait de conserver la compétitivité d’une filière porteuse pour l’agriculture française. Entre autres, ce secteur doit être particulièrement vigilant à ne pas commettre les mêmes erreurs que celui des betteraves

Etienne Lombardot 

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